Depuis 2019, le Département de l’Aube a intégré la Route européenne du patrimoine juif. Il construit un nouvel itinéraire sur le territoire de l’ancien Comté de Champagne, terre de célèbres exégètes juifs du Moyen-Âge. La Route médiévale de Rachi en Champagne (RMRC), portée par le Comité départemental du Tourisme de l’Aube (CDT Aube) a pour objectif de faire rayonner la mémoire juive du Département, patrimoine culturel immatériel commun aux Juifs du monde entier et patrimoine historique médiéval de l’Aube.
Dynamique de territoire et projet fédérateur
Pour dynamiser ce territoire, elle développe actuellement une offre culturelle et touristique plurielle autour de l’histoire des anciennes communautés juives de Champagne. CulturistiQ pilote la RMRC et crée des contenus pour accompagner son développement.
L’une des propositions soumises au comité de pilotage a porté sur la constitution d’un vivier de guides professionnels sur la thématique, via la création d’une offre de formation. En effet, ce patrimoine culturel, immatériel et littéraire présente un premier abord complexe et souvent abstrait. Le matériau est difficile à manipuler pour les guides ou les bénévoles d’associations. Accueillir le public intéressé par le patrimoine juif requiert certaines compétences, savoir-être et savoir-faire : au-delà de bien connaître ses publics, savoir susciter la curiosité, l’intérêt et animer une visite, il est primordial de maîtriser certaine notions de l’histoire et de la culture juive, et, en ce qui concerne l’Aube, de connaître l’histoire médiévale du territoire et celle de Rachi et des Tossafistes, deux récits intimement imbriqués.
De nombreux prérequis, qui, s’ils restent bien entendu non obligatoires, permettent aux médiateurs et guides d’avoir un discours fluide, d’être à l’aise devant des publics exigeants (rapport affectif à la thématique et publics de connaisseurs) et d’accepter certaines responsablilités.
Construction d’un accueil qualifié et diversifié
L’idée d’une formation aux contenus multiples et complémentaires se destinait à un public large : guides-conférenciers locaux, salariés et bénévoles des organisations et des territoires en lien avec ce patrimoine et étudiants en médiation culturelle à l’Université de Reims Champagne Ardenne.
Devant cette disparité de participants, la construction de la formation s’est focalisée sur deux points transversaux :
- Une harmonisation des connaissances/contenus/savoirs des participants
- La mise à disposition de ressources de travail et d’un accompagnement dans les acquisitions de savoirs
Dans un objectif global: générer une prise de conscience et proposer des outils pour ouvrir des pistes de création.
Sur cette base de réflexion, 4 sessions de 3 heures de formation gratuite, ont été ouvertes en ligne par le CDT de l’Aube pendant la période de confinement/déconfinement sur « la culture et le patrimoine juif » du 13 au 27 mai 2020.
Démocratisation et accès au patrimoine
Trois premiers modules imaginés et conçus par CulturistiQ, proposaient une mise à niveau et une « démocratisation » ou « désacralisation » de la thématique en plaçant les participants dans une situation d’apprentissage, interactif et désinhibant pour les autoriser à entrer dans la thématique de plain-pied :
- Le module « Culture juive » animé par le rabbin Stephen BERKOWITZ de la communauté juive massorti de Catalogne et des communautés juives libérales de Toulouse et de Montpellier, proposait trois axes de développement :
- Brève histoire du peuple juif et du judaïsme
- Fondamentaux, croyances et pratiques du judaïsme
- Composition de la communauté juive contemporaine en France et celle de communautés à l’étranger
- Le second module « Histoire juive locale & gestion des publics » a été dispensé par CulturistiQ autour de 4 axes :
- Approfondissement des figures du judaïsme champenois permettant l’identification de leur rôle et place dans l’Histoire de la Champagne médiévale ainsi que dans l’Histoire de France.
- Travail de sourcing et de projection autour d’un état des « lieux de mémoire juive » sur le territoire, à Troyes et parmi les 25 communes concernées par cette mémoire (Dampierre, Ramerupt ou encore Villenauxe-la-Grande, Bar-sur-Aube, Ervy-le-Châtel ou Mussy-sur-Seine)… CulturistiQ a démontré que l’abondance des sites potentiellement valorisables et leurs richesses intrinsèques – au travers de leur urbanisme, architecture, patrimoine naturel, agriculture… – constituaient des écrins de valorisation du patrimoine juif et permettaient de répondre à deux besoins convergents : animer le territoire et mettre en lumière son passé sous un angle nouveau en croisant les patrimoines grâce à la mise en scène et à la narration. Des solutions innovantes qui s’affanchissent des difficultés liées au PCI et à l’absence de dispositifs de visite dédiés.
- Une explication du rôle de la RMRC en tant que moteur et soutien pour structurer et dynamiser les créations de futures nouvelles offres touristiques, culturelles, éducatives et scientifiques par les guides, médiateurs, collectivités…
- Des conseils sur la prise en charge des différents publics liés à ce patrimoine spécifique. Deux types de publics aux attentes différentes : le « public expert », souvent international, est habitué à ce patrimoine et en connaît les spéficités et codes. Il est en attente forte d’émotions, s’identifie à la thématique de manière intime, recherche une grande proximité dans l’accueil et attend d’être surpris, accompagné, compris. Le « public novice » est un touriste ou un habitant qui s’intéresse au patrimoine de l’Aube de manière générale. Rencontrer le patrimoine juif dans ce contexte est souvent l’occasion unique d’un premier contact avec la culture juive, l’opportunité d’un dialoque, d’un échange curieux et ouvert. CulturistiQ a insisté sur les réponses enrichissantes et multiples à apporter à ces publics et la responsabilité du médiateur dans le succès de ces rencontres qui sont avant tout des supports de transmission.
- Le troisième module intitulé « Etude juive » a abordé les travaux d’exégèse de Rachi, ses sources et sa méthode. Organisé en partenariat avec l’Institut Universitaire Européen Rachi, ce module a été présenté par Jérôme Benarroch, agrégé de lettres modernes, docteur en philosophie et enseignant à l’Institut Universitaire Européen Rachi. De nombreux exemples étudiés dans la Bible hébraïque sont venus éclairer un commentaire qui semble inaccessible à nombre de professionnels. En conseillant ouvrages ou outils en ligne comme Sefarim pour accéder aux commentaires de Rachi, l’idée était d’offrir des clés de compréhension aux participants, de piquer leur curiosité et de les rendre autonomes dans leurs recherches.
Un quatrième module a été judicieusement inséré par le CDT de l’Aube : celui du « Tourisme ». Animé par Thierry do Espirito, guide-conférencier et formateur au CNAM, l’idée était d’exposer notamment aux bénévoles d’associations et étudiants, non professionnels du tourisme, les techniques et conseils pour créer une médiation, dans le cadre spécifique et délicat du patrimoine immatériel. Entre élaboration d’un parcours de visite, outils et méthodes de guidage, le formateur a partagé ses bonnes pratiques pour rendre un sujet séduisant, tant dans la durée de la visite, de l’angle et des scenarii choisis, de l’environnement et des liens à imaginer entre histoire et patrimoine.
Interdisciplinarité et passerelles créatives
Cette formation constitue la deuxième action concrète de sensibilisation proposée par la RMRC : à la suite de la parution d’une brochure touristique gratuite parue en avril 2020, elle vient consolider cette nécessaire prise de conscience de la richesse d’un patrimoine à valoriser et à se réapproprier. A l’instar de la brochure, à vocation de diffusion auprès du grand public, la formation s’attelle cette fois à sensibiliser les professionnels, en première ligne pour recevoir ces publics.
Ces actions combinées font le pari de l’animation et de la créativité sur les valeurs différentielles d’un territoire touristique qui se définit par le slow tourisme, l’art et l’artisanat, la spiritualité, l’histoire médiévale et la vigne. Alors que le patrimoine juif et les lieux de mémoire tangibles ont disparu, elles donnent une impulsion pour innover avec les moyens du bord!
De futurs dispositifs de visite sur la thématique pourront à terme se superposer à l’initiative privée de la Maison Rachi (exposition permanente visitable dans la synagogue de Troyes, réalisée en 2017) dans d’autres communes de l’Aube, mais la réalisation de tels projets sera longue. La formation incite donc les participants à se prendre en main dès maintenant, pour créer et avancer malgré ce handicap. Fédérer des professionnels et bénévoles du secteur autour de l’animation représentait donc un moyen de contourner la problématique du PCI et d’aborder avec eux les multiples façons de faire rayonner le patrimoine de l’Aube autour d’un enjeu de mémoire et d’un enjeu de territoire.
Relance économique, compétences et motivation
En outre, cette initiative a eu le mérite d’apporter un vent d’optimisme à un secteur en souffrance en cette période de crise sanitaire. Cette formation qui devait initialement se tenir en présentiel a été transformée en conférence numérique par le CDT de l’Aube. Cette solution a permis aux professionnels du tourisme de mettre à profit ce temps d’inactivité forcée en se lançant dans la réflexion et la conception de nouveaux parcours pour anticiper la reprise prochaine des visites guidées… L’initiative a donc eu un rôle économique et social moteur pour accompagner la relance de l’activité dans un secteur sinistré au-delà de son rôle d’animation et de valorisation du territoire !
Parallèlement, cette action a eu la volonté d’accroitre les compétences d’accueil dans les dispositifs de visite existants ou à venir, en apportant outils et réseau de professionnels motivé et qualifié. L’occasion de tisser des liens, de s’inscrire dans une dynamique globale vertueuse et d’initier ensemble de nouvelles idées de visites ou de parcours à l’intérieur même des sites accueillants déjà du public. Une action qui se veut donc concrète, pérenne, solidaire entre les partenaires de la Route, composés de collectivités, d’institutions publiques et privées et d’associations. Plusieurs nouvelles thématiques de visites guidées sont d’ores et déjà à l’étude par les guides…
Enfin, cette action de formation s’est voulue inclusive auprès des professionnels aubois, en majorité étrangers à la culture juive. En proposant des perspectives pour croiser, innover et rassurer, notamment grâce à la mise en contact avec des experts et la transmission de bibliographies, une véritable collaboration s’est amorcée entre la RMRC et les professionnels du tourisme.
La formation en ligne s’est accompagnée d’un support présentant le plan détaillé des différents intervenants. Les interventions enregistrées seront mises à disposition des participants sur Youtube et pourront être réutilisées pour la formation de futures équipes de guides !
Une trentaine de participants a répondu présent, dont une majorité de professionnels locaux du tourisme (guides, salariés d’offices du tourisme et bénévoles dans le cadre de l’animation du territoire). C’est un succès. Le questionnaire de satisfaction post-formation a donné d’excellents résultats, même s’il est vrai qu’une formation intense de 12 heures sur un sujet si vaste, reste évidemment partielle.
Un projet pérenne d’accompagnement
Sur le plan des valeurs que défend CulturistiQ, il s’est agi aussi de porter haut les couleurs de la culture juive et son nécessaire déploiement au travers d’actions de tourisme culturel. L’appropriation du sujet par les guides dans un cadre de travail facilitateur va permettre d’ouvrir les chantiers de demain : d’autres formations plus ciblées pourront à présent être abordées selon les demandes qui émaneront des professionnels. Elles pourraient s’intéresser à des thématiques particulières comme le vêtement médiéval, les langues du moyen-âge, des métiers, des pratiques du quotidien, des circuits particuliers, ou un focus sur des villages spécifiques… Des éléments de « vulgarisation » qui seront enrichis grâce aux résultats des travaux scientifiques en cours de la RMRC.