Avec la désindustrialisation, certaines conséquences de l’aménagement du territoire, le vieillissement de la population et l’exode vers les villes, les campagnes se sont vidées depuis la seconde guerre mondiale. Pas celles qui bénéficient d’atouts touristiques ruraux salvateurs et qui restent dynamiques et en croissance comme l’explique le sociologue Benoît Coquard. Mais celles qui sont devenues invisibles et ont basculé dans la précarité, sans commerce ni service public minimal.
Comment alors prendre le risque et faire le pari de s’installer à la campagne lorsqu’il n’existe pratiquement aucun « support » et que son projet de vie ou son projet professionnel sera souvent lui-même, le seul moteur économique, culturel ou touristique de la commune ?
Cap : ruralité
L’engouement pour la vie rurale réaffirmé en période de crise sanitaire avec de nouveaux enjeux écologiques et humains, permet d’envisager différemment une renaissance et un désenclavement des campagnes. La tendance au tourisme vert, au slowtourisme, la montée d’une consommation bio jouent un rôle prépondérant dans ce basculement. Jusqu’alors pourtant, s’installer dans une vieille maison de village à rénover, loin de tout service urbain, n’est pas toujours le modèle plébiscité par les nouveaux ruraux qui préfèrent de loin faire construire des pavillons dans les banlieues vertes et y reproduire une vie urbaine. Une ruralité qui n’en a que le nom et qui n’apporte aucune solution au problème de la désertification des villages ni au développement des territoires.
Revenir aux villages présente pourtant des côtés positifs : quel que soit le projet d’installation et malgré les barrières à l’entrée (pas de commerce, pas d’école, faible zone de chalandise…), les audacieux y font le constat rassurant d’un surplus de solidarité et de sociabilité, de liberté et d’autonomie. Un environnement où le collectif prime et rime avec épanouissement. Car envisager un projet novateur en ruralité est un défi personnel qui est plus facilement légitime et visible (localement a minima) qu’en ville. Le prix d’entrée : être en mesure de s’adapter à la réalité rurale et de repenser son action, son rôle et sa place dans la commune.
Engagement et réenchantement
La différence majeure entre les générations passées et celles d’aujourd’hui qui décident de vivre à la campagne, réside dans la liberté de choisir. Un engagement réfléchi, une démarche issue d’une prise de conscience souvent environnementale, pour changer ses pratiques et se donner la chance d’accomplir un projet de vie.
Cet engagement personnel va plus largement revitaliser également la commune : un savoir-faire, une passion, une volonté qui vont créer au-delà du projet, une dynamique culturelle, économique, éducative dans le village, voire une nouvelle identité.
Ces désirs et défis personnels ou professionnels donnent lieu à des initiatives privées très créatives. Des innovations nécessairement utiles et rentables dans un environnement qu’il faut savoir appréhender ou maîtriser. Ou faire évoluer : car en instaurant de nouvelles pratiques, de nouveaux services, de nouveaux usages, parfois basés sur d’anciens savoirs, les néo-ruraux entrepreneurs ont aussi à coeur de sensibiliser à une nouvelle façon de vivre ou de consommer et de transmettre des valeurs.
Marnay-sur-Seine, un laboratoire de bonnes pratiques
Marnay sur Seine dans l’Aube, est un petit village de 230 habitants, plein de charme en bord de Seine, avec ses beaux sentiers de randonnées de 7 à 20 km balisés. Le restaurant et le café, les derniers commerces, ont fermé dans les années 2010 sans repreneurs.
Par chance l’art fait naturellement partie de l’identité du village. Tout a commencé dans les années 90 où un ancien prieuré est devenu le CAMAC, Centre d’Art Contemporain de Marnay, jusqu’en 2017. Parallèlement, l’Association du Jardin Botanique de Marnay existe depuis 1995 à l’initiative de Didier Rousseau Navarre, artiste botaniste. Premier jardin botanique de la région avec 3000 espèces, il a obtenu le Label « jardin remarquable » en 2007 renouvelé en 2014 et a étoffé son offre d’une programmation d’ateliers pour jeune public (70 ateliers en 2018 à destination des écoliers du territoire) et une résidence d’artiste depuis 2013. Des initiatives culturelles innovantes qui revisitent les concepts de nature, de terroir, du rôle de l’art et qui trouvent leurs publics bien au-delà de Marnay.
- De l’art…
Autre artiste nouvellement installée avec une créativité généreuse : Mathilde Rousseau-Domec, comédienne et enfant du village. Elle a créé « L’Expressoir » en 2016 après avoir racheté et rénové une belle maison de briques pour y proposer un concept de café-théâtre qu’elle gère entre programmation culturelle, petite restauration et café… Ce café-culturel accueille de nombreux artistes autour d’un évènement tous les 15 jours: concerts, lectures et plus récemment pièces de théâtre. Il est ouvert chaque soir en fin de semaine. Mathilde a choisi Marnay car elle s’y sent attachée et qu’elle pressentait que son projet y aurait sa place. Un refuge ou elle reçoit autant que l’énergie qu’elle déploie : en reprenant en quelque sorte le flambeau de l’art, elle redonne du sens à son travail et « nourrit » le village. Depuis un an, elle un second projet a vu le jour sous forme d’une résidence d’artistes en association avec une artiste américaine. Propriétaire de chambres d’hôtes à Marnay, elle peut accueillir les artistes de passage. Avec la crise sanitaire de 2020, elle innove à nouveau en équipe avec d’autres artistes, sous forme associative pour soutenir encore le secteur artistique : une résidence d’artistes virtuelle « accueille » depuis fin octobre, 12 artistes photographes, vidéastes et peintres argentins, américains, espagnols et mexicains. Un vernissage des créations qui auront été réalisées en confinement à distance, est prévu en ligne mi-décembre et si possible dans différents lieux physiques. Avec Mathilde, Marnay se transforme en laboratoire culturel dans un partage joyeux, intelligent et fédérateur. Chacun de ses projets et structures s’imbriquent les uns aux autres et leur modèle repose sur une part d’autofinancement important. Un écosystème que Mathilde est toujours prête à faire évoluer pour le rendre pérenne.
- …Et du bon pain
Venue de Varsovie rendre visite à une amie artiste en résidence au CAMAC en 2012, Kinga Klusak est tombée amoureuse du village où elle s’est installée en 2015, laissant derrière elle sa vie de productrice de cinéma. Elle caressait le projet de pouvoir un jour se reconvertir dans la pratique d’un métier manuel. Or en 2016, la municipalité de Marnay propose des démonstrations sur le vieux four à bois du village. Une révélation pour Kinga qui choisit alors de créer un concept de fournil, « Pain sans frontières », spécialisé dans la fabrication de pains artisanaux cuits au feu de bois, assorti d’une petite épicerie. Réapprendre des gestes, un savoir-faire, donner du sens à son travail, créer du lien avec les habitants et faire changer les pratiques de consommation, lui ont donné envie de murir ce projet. Son CAP en poche, elle lance un financement participatif pour acheter son four à bois et entame des travaux pour créer le bâtiment qui l’accueillera. Une période pendant laquelle elle teste le concept dans un petit four privé du village. En mars 2020, elle reçoit des clients plus nombreux, malgré la crise, grâce à une communication choisie qui fait mouche. « Parce que le pain est un dénominateur commun des différentes civilisations et qu’il se partage et se déguste en bonne compagnie », elle imagine de proposer aux habitants de la région une découverte de saveurs, de goûts et de modes culturels, par le biais de recettes inspirées du monde entier, au levain et à la farine bio, en partenariat avec des fournisseurs locaux. Les pains sont commandés sur facebook ou par sms la veille et vendus « par la fenêtre » sur place, les mardis et vendredis. Dans la belle maison partagée avec l’Expressoir café, Kinga se réinvente à Marnay qui l’inspire et qu’elle inspire.
Politique innovante de lutte contre la dépopulation
Mais s’aventurer seul pour réaliser son rêve en ruralité n’est pas toujours possible. Beaucoup d’efforts personnels et de prise de risque que tous ne peuvent entreprendre.
Alors pour soutenir ces initiatives, s’assurer de leur viabilité, de leur côté innovant et de leurs capacités de financement, des formes de soutiens organisés apparaissent pour les accompagner dans leur développement. Des solutions qui émanent généralement de partenariats entre les communes et des financeurs. Avec à la clé, l’avantage d’une promesse de revitalisation des villages.
- Dés néo-ruraux courtisés
Face à la perte de population importante de villages en Espagne, la province d’Aragon a mis en place en janvier 2020 une plateforme internet originale qui met en contact des jeunes porteurs de projets économiques innovants et des villages en déclin cruel. Un projet qui a pour objectif de repeupler et dynamiser intelligemment les villages en soutenant l’innovation grâce à une collaboration entre les communes intéressées, l’entreprise Red Electrica d’Espagne et l’association Alma Natura. REE finance le projet et l’association le gère. Ce type de coordination présente plusieurs atouts : une fois les projets les plus viables choisis, ils sont immergés dans un écosystème qui facilite leur gestion et leur apporte un soutien financier et technique. Holapueblo est un véritable espoir pour la région : à ce jour 148 projets ont été déposés et 50 sélectionnés et lancés : exploitation de brebis, fabrication de produits dérivés à base de cerise bio, culture d’ail, hébergements ruraux, boulangerie, fabrication d’huiles essentielles, services à la personne…
En Suisse, en Italie, aux USA,… le constat est le même. D’autres types de programmes émergent, organisés par des villes et villages pour inciter les néo-ruraux à s’installer en contrepartie d’un accès au logement très modeste en location ou à l’achat – incluant un budget pour des travaux de rénovation, la proposition de postes de travail et l’inscription facilitée dans les établissements scolaires des environs.
- Lien social et services de proximité
Dans la région des Asturies en Espagne, un système a été imaginé pour financer une formation d’assistance sociale et médicale dédiée aux personnes âgées des villages de la province. Les bénéficiaires de la formation s’installent alors métier en poche, dans des logements mis gratuitement à leur disposition au plus près des habitants de la commune. Un projet qui permet à la fois d’accompagner les publics vulnérables, de maintenir les personnes âgées à leur domicile et dans leur environnement et de repeupler les villages.
Le « bar » espagnol et le « bistrot » français sont de véritables institutions des villages ! A la fois lieux de rencontre, de consommation et de services, ils constituent souvent le coeur de la commune. Malheureusement ils sont en voie d’extinction particulièrement dans certaines zones rurales françaises. Aussi l’initiative « 1000 cafés » du Groupe SOS, lancée en septembre 2019, a souhaité contribuer à revitaliser les communes rurales françaises en ouvrant ou en reprenant 1000 cafés dans des communes de moins de 3500 habitants. Le Groupe endosse le risque, recrute les gérants et leur assure le salaire et la communication, la mise en réseau et l’accompagnement dans l’offre de services qui peut être multiforme : dépôt de pain, épicerie, presse, relai-poste, tiers lieu culturel et entrepreneurial, point d’information touristique, point wifi…. En 2020 plus de 700 communes ont candidaté et 20 premiers établissements ont pu ouvrir leurs portes début mars 2020 !
Quand il n’y a plus ni café, ni boulangerie, ni commerce, ni école, la vie du village est en sursie. L’attractivité du territoire s’éteint. Réinventer et revitaliser la campagne devient alors une question de société.
L’appel de la ruralité est fort particulièrement en période de pandémie où tout à coup les notions d’autonomie, de solidarité, le rapport au temps et à la nature prennent un autre sens. Pour les entrepreneurs volontaires, réinvestir la campagne est un choix éthique murement réfléchi dans l’objectif de repenser ses pratiques et de redonner du sens à sa vie et à son travail. Des « actes de résistance » à la vie urbaine et à la mondialisation qui contribuent aussi à désenclaver les villages, dynamiser les échanges sociaux dans la ruralité et revaloriser les territoires.
Une question de survie pour les municipalités qui amorcent des défis collaboratifs ingénieux pour préserver leur avenir et encourager l’innovation entrepreneuriale.
Photo en Une ©Abril M. Barruecos pour Pains sans Frontières